Au cours des deux dernières années, plusieurs opérateurs, viticulteurs et négociants, ont été mis en cause par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour avoir utilisé des marques commerciales reprenant un nom d’exploitation alors que les vins ainsi commercialisés n’étaient pas issus de l’exploitation en question.

À l’initiative de la DREETS Nouvelle-Aquitaine (anciennement DIRECCTE), le Parquet de Bordeaux a engagé des poursuites contre les viticulteurs et les négociants concernés, considérant que ces cas d’espèce constituaient des pratiques commerciales trompeuses, et cette analyse a été systématiquement suivie par le tribunal en première instance (N.B. : la plupart de ces décisions sont frappées d’appel).

Face à la multiplication de ces affaires judiciaires, les deux familles professionnelles ont souhaité sécuriser juridique- ment l’usage de ces marques fondées sur le nom de l’exploitation. Elles ont élaboré après de longs échanges une charte de bonnes pratiques, qui a été soumise aux administrations concernées à la fin du printemps dernier pour validation.

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Le respect des principes édictés par cette charte, qui reposent sur l’information du consommateur sur l’origine du vin, permettra de considérer que l’usage d’un nom d’exploitation pour commercialiser des vins qui n’en sont pas issus n’est pas constitutif d’une pratique commerciale trompeuse, sous réserve de l’interprétation des juges en cas de litige.

Son champ d’application a été récemment encadré par un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 16 juillet dernier dans une affaire portant plus spécifiquement sur la possibilité d’utilisation du nom d’une AOP dans une marque (le Bordeaux de… ou by…).

La Cour s’appuie sur le risque d’affaiblissement et de banalisation de l’Appellation concernée pour estimer qu’« En faisant précéder le nom qualifiant l’AOC d’un article défini (dont l’usage précède dans le langage courant les noms communs), la mention en litige est de nature à ôter au produit ses propriétés spécifiques, liées à un territoire géographique et à des procédés d’exploitation et à lui conférer un caractère banal et sans références ».

« Le Bordeaux de » ou « Le Bordeaux by » constitue une « privatisation » de l’emploi de l’AOC, et l’exploitation commerciale du nom de cette AOC précédée d’un article indéfini est susceptible de constituer un détournement de celle-ci. »

Suivant cet arrêt, qui n’a pas fait l’objet de recours, l’usage d’un nom d’AOC dans une marque lorsqu’il est précédé d’articles caractérisant son appropriation est constitutif d’une pratique illicite, sanctionnable pénalement, même si la marque en question désigne un vin issu de l’AOC concernée.

Il complète donc la charte de bonnes pratiques en fixant un cadre qui pose des limites à la création de marques commerciales utilisant un nom d’exploitation. Le choix relève in fine du producteur qui doit mettre en balance l’intérêt de cette démarche au plan commercial, la nécessité de constituer un partenariat avec le fournisseur du vin, avec les risques au plan juridique en fonction du nom de marque utilisé, mais aussi l’impact de cette pratique en termes d’image pour son exploitation.

Yann Le Goaster